Les Luttes de classes en France au XXIe siècle (2020)

TODD m'émerveille par son intelligence brillante et son non-conformisme.
« Les luttes de classes en France au XXIe siècle » d'Emmanuel TODD est une somme, réfléchie et documentée, qui actualise sa réflexion, en création conjointe avec un ami journaliste expert de sa pensée et de son œuvre.
TODD qualifie « Révolution » de « 265 pages... de vide...» et évoque la « flamboyante réputation de fayot » de MACRON comme explication de son ascension. Il souligne combien les Gilets Jaunes lui ont rendu espoir. Il annonce un cycle Gilets Jaunes 2018-2068 succédant au cycle Mai 68 1968-2018.
Pour TODD, page 88-89, « La vérité de l'Histoire apparaît souvent par l'affirmation préalable de son contraire ». Pierre Frédéric TENIERE-BUCHOT le soulignait déjà en 1989 dans « L'ABC du pouvoir » : « Les discours expriment virtuellement l'annulation de conflits réels ». En fait la séquence est : 1°) annonce de l'évolution par des têtes chercheuses (cf les Lumières), 2°) raidissement intégriste (cf les 4 quartiers de noblesse et les parlements), 3°) changement de phase (1789).
Son analyse du rôle déterminant des systèmes familiaux m'enchante depuis qu'il l'a rendue publique. Par rapport à ceux-ci, mentionnés pages 97 et 338 comme occultés, je me questionne encore sur le devenir du déterminisme de la mémoire des lieux qu'il évoquait page 143 de « Qui est Charlie ? » et pages 461-469 de "Où en sommes-nous Une esquisse de l'histoire humaine" sur les valeurs faibles qui donnent des systèmes forts. La France passe-t-elle en système anomique ?

Il manque à TODD (énorme lecteur), dans son dernier ouvrage, une série de lectures pour sortir de l'archaïsme de type démocratie dite représentative, alors que le CEVIFOP souligne depuis plusieurs années que 75% des Français ne font plus confiance aux politiques, aux médias et à la Justice et que la démocratie de type suisse est refusée en violation de l'article 2 de la constitution « La République est le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple. » :
La démocratie représentative, fondée au 13e siècle en Angleterre, dégénère. "Tout système clos évolue dans le sens du plus grand désordre, alors que les découvertes de la biologie montrent que tout système ouvert évolue naturellement vers une structure plus complexe." Elle sera remplacée au 21e siècle par une démocratie directe où chaque niveau de subsidiarité, indépendant (Handy ex-London Business School "Le temps des paradoxes" p 113-124), se coachera collectivement.
Pour Kauffman du Santa Fe Institute ("La complexité, vertiges et promesses" de Benkirane p 208), en biologie, il y a deux sources d'ordre : la sélection naturelle et l'auto-organisation.
L'entreprise spontanée type SEMCO ("Semler "A contre-courant", référence de Handy), OTICON, IDEO, IDEMITSU KOSAN, GTE, VISA, WL GORE, AES, ou NUMMI (O'Reilly et Pfffer de Stanford dans "Hidden values"), JOHNSONVILLE FOODS, le swarm system de Kelly (l'open source de Linus), est l'attracteur irrésistible. Pour Pyzdek dans "The end of management" : "The basic idea is that complex order emerges as the result of a large number of interactions among agents following simple rules."
– « How to be a star at work » de Robert E.KELLEY, sur l’invention de la performance humaine en groupe par un simple réparateur sur poteaux (promu au Bell Labs du New Jersey et à ses annexes de Chicago et Colombus, pour sa performance humaine) et l’analyse scientifique de son processus.
– « A contre-courant » de Ricardo SELMER, sur la mise en oeuvre exhaustive du principe de subsidiarité (la même expérience a eu lieu à Mantes dans le même type d’entreprise de moteurs marins).
– « The end of management » de Thomas PIZDEK, spécialiste de la Qualité qui aboutit au principe de subsidiarité.
– « Liberté & Cie Quand la liberté des salariés fait le bonheur des entreprises » de Isaac GETZ de l’ESCP et Brian M.CARNEY du Wall Street Journal, avec page 319 la « méthodologie du design créatif » de David KELLEY fondateur d’IDEO à Palo Alto.
– « Super collectif » d’Emile SERVAN-SCHREIBER sur la force de l’intelligence collective, la richesse de la variété systémique et du rôle des femmes.
– « Reinventing Organizations » de Frédéric LALOUX et « La Révolution Holacracy » de Brian J.ROBERTSON offrent un manuel limpide de l’auto-gouvernance en entreprise (autonomie et intelligence collective, plein épanouissement des personnes, adaptation évolutive collective en temps réel) parfaitement applicable à la démocratie directe. Le crowd sourcing, l’open source, vont balayer le vieux monde du pouvoir.
– « Out of control» de Kevin Kelly sur l’auto-organisation comme source d’ordre dans les systèmes complexes.
Rappel : en crowd sourcing a été résolu, en quelques semaines (par un non-biologiste), le dépliage des protéines sur lequel les biologistes bloquaient depuis des années.
Réflexions issues de la lecture de la somme  de TODD :
1°) TODD ne prend pas assez en compte l'apport de l'open source, du crowd sourcing, du design-thinking, de l'holacracy, de l'accès direct au savoir via l'IA, via le web, de l'achat de livres sur internet, de la naissance d'un marché mondial du livre d'occasion, de l'échange entre têtes chercheuses sur internet... et de la présence d'excellentes revues scientifiques (La Recherche, Pour la Science) en grandes surfaces : sa pensée, qui excelle à décoder l'actualité contemporaine et récente, néglige trop, dans cet ouvrage, l'arrivée d'une révolution du niveau de la découverte de l'imprimerie.
Comme TODD lui-même le dit page 224  de « Après la démocratie » : il n'y a plus de service rendu de l'élite comme en 1789. Et pourtant en parlant de « la réaccumulation de l'intelligence en bas de la société », il ouvre la piste amorcée avec « How to be a star at work » de Robert E.KELLEY. L'avenir passe par le talent d'optimisation de l'intelligence collective.
2°) TODD ne mentionne pas que l'anomie débouche sur l'amok (c'est lui qui nous l'a appris de façon lumineuse) et que, donc, ce qu'il dénomme « le temps du sadisme sociopolitique » et « la France en mode aztèque », en est la conséquence logique et dangereuse.
3°) TODD lorsqu'il parle de culture du narcissisme et lorsqu'il écrit « la victoire de Macron a comme libéré cette pulsion sadique et autodestructrice », page 266, devrait compléter et étoffer son analyse avec « La passion de détruire » d'Erich FROMM et les ouvrages d'Abigail MARSCH sur les psychopathes sans compassion, en y ajoutant RACAMIER et HIRIGOYEN sur les pervers narcissiques. Les recherches de causalité doivent être exhaustives.
4°) TODD fait l'impasse pages 107-108 sur les travaux de Bernard ROUGIER et de ses doctorants sur les quartiers sortis volontairement de la République, tout en amorçant une prise de conscience en parlant page 105 de recommunautarisation. Les Amish n'ont jamais cherché à être conquérants par la violence en priorité délinquante.
4°) TODD fait référence à TERESTCHENKO et à son beau livre sur le Totalitarisme « Un si fragile vernis d’humanité ». TODD pourrait utilement se référer à l'analyse du Totalitarisme en 50 points d'invariance systémique, car il ne replace pas assez son analyse, fouillée mais partielle et donc restant à la surface des choses, dans un contexte de type totalitaire : cette analyse reste bien trop timide.
5°) TODD, de façon bien pire, ignore la définition du Totalitarisme par Hannah ARENDT comme société secrète au grand jour. TODD écarte alors, d'un revers de manche, page 214, ce qu'il semble ne pas avoir envie de travailler en se confrontant à la documentation : « Nul besoin d'imaginer des pouvoirs occultes ». Et pourtant, MACRON est officiellement de la promo 2014 du BILDERBERG et PHILIPPE de celle de 2016 : ce n'est pas neutre. Et pourtant ce sont deux énarques, Sylvie JUMEL et Françoise CHANDERNAGOR (major de l'ENA), qui ont levé le voile sur ces pouvoirs,  avec « La sorcellerie au cœur de la République » de Sylvie JUMEL 9/2002 (SCHIAPPA l'a confirmé récemment dans Elle) et « L’archange de Vienne » de Françoise CHANDERNAGOR (major de l'ENA) 5/1994.
Toute la systémique du Totalitarisme repose sur le secret. Qui connaît Aktion T4 comme opérateur de l'euthanasie ? Qui a lu les 1501 pages sidérantes et hyper-documentées de Jacques MOREL sur « La France au cœur du génocide des Tutsi ». ? Qui a entendu parler du fichage des élites polonaises par HEYDRICH avant-guerre pour préparer leur massacre à l'automne 1939 ?
Deux exemples de décodage systémique approfondi  justifient de chercher à aller au cœur des choses :
« Une guerre » de Dominique LORENTZ 6/1997 : sur l'assassinat par ses frères francs-maçons de BAROIN Grand Maître du Grand Orient (et de sa fille), avec de facto l' axiome « Ceux qui savent sont ceux qui noient le poisson ». L'information existe, il suffit de la recouper.
« Le temps des assassins » Claire STIRLING 1/1994 : quand CIA et KGB s'unissent pour occulter la vérité sur la tentative d'assassinat de Jean-Paul II. L'information existe, il suffit de la recouper.
Il faut lire l'extraordinaire « Black List » de Kristina BORJESSON sur les sujets qu'il est interdit d'aborder.
Les trois dernières pages du livre d'Emmanuel TODD tranchent avec ses positions antérieures, à la façon d'une joyeuse surprise et d'un cadeau au lecteur fidèle, passionné et admiratif que je suis. Emmanuel TODD n'est-il pas, en lui-même, un archétype de la mémoire des lieux, en référence à la définition de la civilisation européenne par Fernand BRAUDEL dans « Grammaire des civilisations » pages 348-349 ?


5/5