Émergence (2019)

Editeur: Slatkine & Cie (14 juin 2019)
Pages: 470 pages
Format: ePUB, PDF, Doc, TXT, MP3, KINDLE, FB2
Langue: Français
Descriptions de livres
Michel Depraz, un chercheur, rejoint une startup qui développe les capacités de l'intelligence artificielle, Turing Technologie...
Rien ne destinait le chercheur Michel Depraz à intégrer une startup dédiée à l’intelligence artificielle. En quelques mois, Turing Technologie multiplie des innovations qui bouleversent l’économie, créent un chômage de masse et le début de soulèvements sociaux. Soucieux de s’approprier l’origine de cette réussite technologique, l’Élysée ne tarde pas à approcher la startup afin de s’assurer la suprématie quantique, avant la Chine et les États-Unis. Devenue l’égale des GAFA, Turing Technologie va créer InGA, la première intelligence artificielle générale: une machine quantique capable d’apprentissage, de créativité, de raisonnements abstraits. Bref, une entité capable de résoudre et même d’anticiper n’importe quel problème. Mais InGA est-elle encore une machine? Le mythe de Faust à l’heure de l’intelligence artificielle.
Dans ce récit de science-fiction fascinant, Turing Technologie crée la première machine quantique capable d'apprentissage, de créativité et de raisonnements abstraits, l'InGA. Une invention qui ne sera pas sans dangers...

EXTRAIT

— Faut vraiment que j’file, a marmonné le chauffeur.
Le type avait l’air très inquiet. Il faut dire que la route avait été épouvantablement déserte et que sur France Info les nouvelles étaient effroyables. Un peu partout, des événements se produisaient : les infrastructures s’effondraient les unes après les autres ; les villes étaient ravagées par des émeutes sanglantes, et ce qu’il restait des forces armées n’arrivait plus à les contenir.
Je l’ai dévisagée un moment : elle était immobile, plus pâle qu’un mort vivant. Elle avait une expression que j’ai d’abord prise pour de la sévérité avant de me rendre compte qu’elle était en réalité habitée d’une terreur d’une telle intensité qu’elle n’arrivait pas à la dissimuler complètement.
Je lui ai pris son téléphone et j’ai retiré la batterie avant de tout envelopper dans du papier d’aluminium.
Elle m’a regardé faire sans protester, la gorge serrée. Un instant, j’ai cru qu’elle allait se remettre à sangloter. De toutes les émotions humaines, la vraie terreur est de loin la plus invalidante. Elle affecte les glandes endocrines qui se mettent alors à déverser dans le sang toute une flopée de molécules organiques qui font se contracter les muscles, accélèrent le rythme cardiaque et surtout épuisent le corps et l’esprit.

Commentaires

C’est un véritable OVNI de l’édition française que ce roman. Un OVNI brillant, drôle et inquiétant.
Le narrateur, Michel Depraz, relate les trois années qui ont changé le monde.

Depraz est un scientifique de haut niveau qui quitte une recherche universitaire prolétarisée pour rejoindre Turing Technologies, une startup spécialisée dans les solutions d’intelligence artificielle.

Au commencement était le Chiffre.
Et le Chiffre était avec Dieu, et le Chiffre était Dieu.
Il était au commencement avec Dieu.
Toutes choses ont été faites par lui.
Et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans lui.

Grâce à un premier contrat dans la grande distribution, Turing Technologies va progressivement devenir le leader mondial de l’intelligence artificielle attirant l’attention de l’Élysée, mais également des concurrents chinois et américains.
Avec la mise en place du premier ordinateur quantique, Turing Tech va franchir un nouveau seuil en créant InGA, la première intelligence artificielle quantique, rejoignant les GAFA avec une capitalisation boursière gigantesque. Une saga technologique et entrepreneuriale qui se double d’une histoire d’amour impossible.

J’avais adoré Chimaeris, le premier roman de cet auteur, dans la veine d’un Stephen King qui partait du thriller pour aller vers le fantastique et l’anticipation.
Émergence est une saga contemporaine, un « page turner » efficace comme Chimaeris — quoi que très différent.
Le roman brosse avec une finesse souvent hilarante un portrait cruel de la société française actuelle. Cela va des émissions télévisées comme « L’amour est dans le pré » ou le journal de Jean-Pierre Pernaut.

« Je remontai le volume juste à temps pour L’Amour est dans le pré.
– Tous en selle, pour une nouvelle saison, annonça Karine Le Marchand, l’œil malicieux.
Je n’avais pas suivi les précédentes saisons avec régularité, mais quand, après la lecture de plusieurs papiers sur l’approche probabiliste bayésienne en IA, j’avais l’impression que mon crâne allait exploser, j’aimais bien me vider la tête avec cette émission simple qui évoquait une France rurale aujourd’hui en grande partie disparue.
Dans un sens, on retrouvait une parenté avec Jean-Pierre Pernaut quand le présentateur de TF1 évoquait avec une émotion sincère ces belles régions que nous aimons tant entre un reportage sur les bouilleurs de cru du Calvados et un portrait de la dernière dentellière du Calaisis. »

Les hauts fonctionnaires ne sont pas non plus épargnés. « C’est finalement le jeune énarque qui regarda sa montre en soufflant d’un air plutôt énervé. Il s’était écoulé plus de deux heures depuis le début de la réunion et il fallait bien reconnaître que nous n’avions pas avancé d’un iota. Il décida alors de passer la surmultipliée en posant simplement le problème.
– On va peut-être arrêter les conneries. »

Le monde des startups en prend également pour son grade. « Letelier esquissa un sourire amusé. Il détestait ce genre de happening où des centaines de startups se bousculaient dans une cohue pénible. La plupart n’ayant pas grand-chose de plus à vendre qu’une vague idée, souvent foireuse.
– Tous ces types se la racontent parce que leur startup vient d’inventer le coussin péteur en version IOS et Androïd ou un logiciel ajoutant des oreilles de lapin aux selfies, dit-il en soupirant, applications, dont ils croient sincèrement qu’elles vont sauver la planète et accessoirement les rendre riches. L’espérance de vie des startups reste inférieure à deux ans. Mais l’objectif prioritaire de VivaTech reste d’atteindre la parité dans le numérique, tout ça fait plutôt pitié. »

Le roman n’épargne personne ni le panier de crabes de la recherche universitaire ni le monde de la grande distribution, ni lui-même...
« L’homme d’affaires ne releva pas, il se tourna vers nous avec un sourire.
– À cette occasion, Lena a trouvé un fabuleux slogan qui résume non seulement le produit, mais toute la philosophie du groupe dans une formule simple, élégante et pertinente.
– Lena, dit-il en jetant à la jeune femme un regard plein d’attente, hochant la tête pour l’encourager, allez-y, dites-leur.
La directrice de la communication baissa les yeux avec un sourire gêné.
– En fait, ce n’est pas si extraordinaire. Il n’y a que Gabriel-Bernard qui soit emballé… Bon, alors voilà.
Elle ferma les yeux, prit une profonde inspiration et dit :
– Avec Deklerck, ne passez plus à la caisse ! »

Comme on le voit, on y croise pas mal de célébrités actuelles — grands patrons, président, ministres ou hommes politiques — aisément reconnaissables et vaguement masquées avec un simple pseudonyme. L’humour est omniprésent, mais il masque souvent le désespoir.
« Villeneuve avait insisté pour que la fusion ait lieu un samedi soir vers 22 h, c’était le moment de la semaine où la puissance appelée par nos différentes applications était la plus faible.
Aurélien avait vaguement protesté évoquant un soi-disant programme.
– Mater des séries sur NetFlix ou se palucher sur Jacquie et Michel, c’est pas vraiment ce que j’appelle un programme, avait rétorqué Villeneuve avec sa délicatesse habituelle. »

Mais, derrière l’ironie, le lecteur découvre une société française inquiète et confrontée à des bouleversements majeurs.

« Il est toujours merveilleux dans le cours d’une vie d’assister à ce moment unique où le génie de quelques individus communie avec le génie de l’époque pour produire une avancée décisive.
Comme pour le projet Manhattan, qui réunissait des esprits aussi brillants que Fermi, Oppenheimer, Einstein, Teller, Feynman et Von Neumann, notre groupe s’inspira d’une dynamique similaire. Nous appliquions à la course à la suprématie quantique le pragmatisme qui avait réussi dans la course à la suprématie nucléaire. Dans un sens, nous savions que notre monde aussi était dans une forme de guerre économique. »

Plusieurs passages m’ont fait penser à Michel Houellebecq, notamment dans les moments tragiques qui laissent une impression de détachement et de fatalisme de la part des personnages touchés par l’adversité.
« Curieusement, la plupart des grandes avancées scientifiques sont contemporaines de périodes troublées. Comme si l’affaissement des institutions humaines permettait à de nouveaux paradigmes de franchir le mur des certitudes d’une époque donnée pour parvenir à s’imposer. Au moment où nous progressions rapidement vers le premier calculateur quantique, la montée des nationalismes et la dislocation des démocraties occidentales devenaient chaque jour plus évidentes. »

Mais si « Soumission » explorait la place de l’islam dans la société française, ici c’est l’intelligence artificielle qui est un enjeu de puissance internationale bouleversant la vie des protagonistes et menaçant l’équilibre du monde jusqu’à un final inattendu et bouleversant.

Bref, un roman dont on ne sort pas indemne tant il donne matière à penser sur la société actuelle, la place de l’homme face aux technologies d’intelligence artificielle et à l'Évolution.


5/5

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