Jusqu'à ce que la mort nous sépare (2020)

Alex est debout sur le quai de la gare. Elle est proche, trop proche du rebord. Elle le sait. C’est son choix. Elle veut mourir. Elle a déjà échoué par deux fois dans cette tentative. Celle-ci sera la bonne. Elle mettra fin à son supplice, à cette douleur aussi violente qu’épuisante qui ne la quitte plus. Sur le quai d’en face, elle croise le regard d’un étranger, un regard glaçant et hypnotisant. Un regard qu’elle fuit avant de se jeter dans le vide.
Alex n’a plus d’avenir, l’inconnu d’en face n’a plus de passé. Alex n’attend plus personne, l’inconnu attend quelqu’un…C’est sur ce prologue qu’Avril Sinner nous entraine dans la vie d’Alex.

Une fois la dernière page du roman tournée, ma première réaction a été d’applaudir l’audace de l’auteure. Vouloir captiver un lecteur avec un roman dont les trois principaux thèmes sont la mort, le deuil et les troubles psychiatriques est sacrément osé. Et bien pour moi, ça a fonctionné, et haut la main ! Alors je tiens à rassurer tout de suite les futurs lecteurs , en filigrane "Jusqu’à ce que la mort nous sépare" nous parle aussi beaucoup d’amour.

Le deuxième point qui m’a frappée est la justesse de ce roman. La justesse des mots utilisés par l’auteure, mais aussi et surtout la justesse des émotions insufflées aux personnages et à Alex en particulier. Je n’ai absolument rien vécu de ce qu’a subi Alex et pourtant au fur et à mesure du récit , je me suis appropriée ses émotions. Au départ, j’ai trouvé ce personnage un peu froid, mais plus je la connaissais, plus je la comprenais et plus je me disais que j’aurai pu réagir à l’identique. Alex est un personnage comme je les aime, parce que profondément humain. J’entends par là qu’elle est toute en contradictions : forte et faible, froide et passionnée, raisonnable et flirtant avec la folie, etc...Si je ne devais retenir qu’un passage du livre d’Avril Sinner, ce serait celui où Alex parle de son fils, parce que justement, c’est à ce moment-là qu’on touche au plus près à l’humanité du personnage, où Alex nous montre ses failles les plus profondes avec une sincérité qui m’a mise à terre. Ce passage est violent dans les mots, il vous déchire le coeur, mais in fine, vous comprenez… Vous comprenez les tourments qui hantent Alex, vous laissez sa souffrance vous pénétrer, et vous savez que vous n’avez aucune légitimité à la juger. Que seuls ceux qui ont vécu une telle souffrance peuvent y être autorisés.

Et puis il y a cet inconnu de la gare que l’on va découvrir conjointement à Alex. Cet homme est dès le début très intrigant. Il souffle le chaud et le froid, tantôt inquiétant, tantôt presque juvénile. Dans les premières pages, il est difficile à cerner. Puis on comprend qui il est. Et là aussi, la magie a opéré pour moi, car je me suis vraiment attachée à cet « homme ». Il émanait de lui à la fois un aspect torturé qui m’a séduite et en même temps une forme d’apaisement, une sérénité, une certitude qui pansaient mon coeur meurtri par la découverte des blessures d’Alex. Si bien qu’à l’apparition d’un troisième personnage essentiel du roman, j’avoue avoir eu peur de ne pas m’attacher, que l’inconnu de la gare soit un concurrent trop fort pour ce dernier personnage. Et bien non, à ma plus grande surprise, je l’ai aimé tout autant que les deux autres. J’ai conscience de parler un peu par énigmes, mais je ne veux rien dévoiler du roman qui gacherait la découverte au lecteur.

Finalement, Jusqu’à ce que la mort nous sépare est un roman qui laisse apparaître deux niveaux de lecture. Soit le lecteur choisit de prendre cette histoire au premier degré, et là de deux choses l’une : soit le lecteur a un esprit très cartésien et il risque d’être déçu par ce récit, soit au contraire le lecteur lâche prise et décide de se laisser embarquer dans cette histoire avec tout ce qu’elle peut avoir d’irrationnelle et il sera alors bouleversé. Personnellement, j’ai beaucoup pleuré…
Je pense également qu’on peut lire ce roman comme une allégorie, que l’histoire d’Alex est un moyen pour l’auteure de nous rendre plus accessible une notion aussi abstraite que la mort. Ce roman interroge beaucoup : qu’est-ce que la mort ? Ce moment presque fugitif où votre coeur cesse de battre ? Ou au contraire un temps long, celui du deuil ? Celui d’une éternité ? La mort est-elle une fin ? Une continuité ? Ou un commencement ? S’inscrit-elle en opposition à la vie, ou en est-elle partie intégrante ? Bref, ce roman appelle à un vrai questionnement auquel chacun apportera les réponses qu’il souhaite.

Pour conclure, je dirais que ce roman d’Avril Sinner est hors catégorie par son thème central, par le questionnement qu’il suscite, et par la sincérité des émotions qu’il éveille. Il fait partie de ces romans qui vous marquent longtemps après l’avoir refermé. Je n’ai qu’un conseil : lisez-le !

5/5