Le regard féminin - Une révolution à l'écran (2020)

Il y a plusieurs livres dans cet ouvrage. Brey est assurément érudite et son paradigme, le 'female gaze', est à la fois clairement énoncé et solidement ancré dans la 'French theory' féministe.
Il s'agit aussi d'une spectatrice attentive qui sait montrer l'importance d'une scène dans l'économie du récit et remarquer les enjeux d'une mise en scène.
Elle donne envie de découvrir des films méconnus ou de revoir certains classiques.
Cet ouvrage est donc un livre d'histoire du cinéma érudit et un remarquable outil d'analyse filmique. Il fera date.
Cependant, le côté 'manifeste' de son livre m'a parfois gêné. En effet, je comprends qu'on puisse en avoir assez du paradigme dominant du 'regard sexualisant et reifiant' de l'homme et que l'on salue l'apparition de nouveaux modes de représentation. Mais elle oublie un détail important sur le cinéma: les meilleurs films, comme Blow up, mettent en scène des anti-heros. Le héros de ce film est un sale type et un personnage à la Kafka qui se retrouve dans une situation absurde. Évidemment que ce photographe de mode dominateur ne se positionne pas à l'égal de ses modèles ! C'est justement le fait qu'il se retrouve dépassé par quelque chose qui fait l'intérêt de ce chef-d'œuvre. Et c'est un film de 1967 et on ne posait pas encore la question du 'male gaze' à cette époque. En d'autres termes, à certains moments très précis, je trouve son approche anachronique.
En bref, je trouve cette lecture très enrichissante mais j'ai quelques réserves sur certains aspects précis de la réflexion de la critique, à savoir ce désir de relire tout le cinéma à travers les codes moraux post 'me too'.
PS. Revu Blow up depuis ma lecture de cet ouvrage. D'accord avec la réponse de Kaganski à l'article auquel Brey fait allusion. Je suis désolé : le comportement du protagoniste est certes discutable mais ce n'est pas un violeur. Et on oublie aussi la manière dont Vanessa Redgrave le domine dans une scène très ambiguë.


4/5