La Fabrique du monstre (2015)

C’est un livre glaçant qui laisse le lecteur hébété quand il en sort, avec l’idée qu’on ne peut rien faire, que ce soit pour cette jeunesse perdue, où pour l’efficacité de l’action publique.
Le livre évite plusieurs pièges : la commisération, le jugement de valeurs, l’explication sociologique, le déterminisme, les solutions rapides…
Il livre les faits bruts, via notamment les témoignages des habitants, des acteurs de la vie politique (élus et entrepreneurs).
On y côtoie des parents désemparés, des enseignants battants mais arrivant aux limites de ce qu’ils peuvent faire, des associations qui semblent surtout servir aux responsables associatifs, des pouvoirs publics qui déversent des moyens pour « mailler la société ». L’auteur arrive très bien à faire comprendre que l’équilibre précaire de Marseille se joue dans ces compromissions, et qu’une gestion autre pourrait très bien aboutir à la catastrophe. Il le fait, encore une fois, sans prendre partie.
L’auteur a quelques expressions très heureuses (« le vieux était presque toujours en prison, et dans la vie civile presque toujours en cavale »), relate des dialogues touchants (« j’aimerai devenir un Frédéric…un quoi ? un Frédéric, c’est-à-dire un Français avec son chien, son pavillon … », le courrier de l’enseignant page 70 est terrible).
La galerie humaine de cette jeunesse perdue occupe la première moitié du livre, et c’est la plus réussie. Les portraits esquissés sont parfois un peu rapides, on aimerait peut être un peu plus de profondeur (c’est mon côté amateur de roman qui parle), tout le monde (parents, enseignants, association…) semble désemparé face à des jeunes qui vont et viennent sans but. Même si l’auteur rappelle que peu de jeunes tombe dans le piège de la délinquance, il rappelle aussi que Marseille a un milieu criminogène qui offre beaucoup de tentations. La seconde partie du livre porte sur le milieu politique marseillais, elle est très factuelle, avec notamment de nombreux extraits de rapports de la Cour des Comptes ou d’instructions en cours.
Le livre se lit bien, le style est agréable, même si par moment quelques passages sont un peu décousus, et auraient peut-être gagné à être plus longs.
Pour conclure, on sort de ce livre en se disant que Marseille est une poudrière, et que toucher à cet équilibre instable est un risque énorme, l'auteur ne se positionnant jamais dans le rôle du "y'a qu'à / faut qu'on".
Bonne lecture à tous.

5/5