L'entraide: L'autre loi de la jungle (2017)

Editeur: Éditions Les Liens qui libèrent (11 octobre 2017)
Pages: 286 pages
Format: ePUB, PDF, Doc, TXT, MP3, KINDLE, FB2
Langue: Français
Descriptions de livres
Alors que nos sociétés libérales sont fondées sur des valeurs qui ne trouvent trop souvent du sens qu’à travers la compétition, Gauthier Chapelle et Pablo Servigne – l’auteur du succès de librairie Comment tout peut s’effondrer – commettent ici un ouvrage majeur. Au modèle de « la guerre de tous contre tous », ils proposent de substituer une vision du vivre-ensemble basée sur l’entraide. Car en balayant l’éventail du vivant – des bactéries aux sociétés humaines en passant par les plantes et les animaux –, il apparaît clairement que les organismes qui survivent le mieux aux conditions difficiles ne sont pas les plus forts, mais ceux qui s’entraident le plus… 

Commentaires

Je ne devrais sans doute pas parler de ce livre, mais si un sociopathe ne se dévoue pas pour le critiquer un peu, on risque de n’en avoir que des commentaires bénisseurs et ronronnants. Surtout, c’est à mon propre usage que j’aimerais élucider les raisons pour lesquelles il m’a laissé perplexe et désemparé.
Non que je n’y aie trouvé provende : d’une lecture aisée (à supposer, bien entendu, que j’y aie compris quelque chose), c’est une vraie mine de faits d’éthologie animale, voire (si l’on ose dire) végétale, et les chapitres 1, 2 et 6 m’ont à cet égard comblé. Je ne me sens pas le parent proche de toutes ces bactéries, algues et bestioles élémentaires qui “s’entraident” instinctivement, mais il ne me paraît pas inutile de rappeler que l’intention, puis la morale, sont venues se greffer sur des comportements naturellement triés d’une infinité de ratés. On pourrait même aller, intraspécifiquement du moins, plus loin que la réciprocité, jusqu’au dévouement oblatif : car il est inimaginable qu’une espèce évoluée ait pu survivre sans que, collectivement ou individuellement, il soit porté assistance aux jeunes [1], alors que la restitution aux vieillards des soins qu’on a reçus d’eux est, si je ne m’abuse, propre à l’espèce humaine, qui ne s’en acquitte qu’en traînant les pieds, surtout en temps ou lieux de pénurie : je suis des plus sceptiques touchant une morale “naturelle”, mais je pense comme tout le monde que s’il est un être humain capable d’amour authentique, c’est une mère pour son bébé. Ajoutons que c’est aussi le seul exemple d’empathie affective et cognitive : ces “chercheurs” me gênent, qui tiennent l’empathie pour acquise, sans se préoccuper de la distinguer de la “compréhension” projective (avec ou sans déni) : “comprendre ce qui se passe dans la tête de l’autre”, au contraire de ce que vous écrivez, n’est qu’une goutte d’eau dans la mer du malentendu, sur la base d’“ôte-toi de là, que je m’y mette!”. Au lieu de vous gargariser de comprendre les autres, demandez-vous qui vous comprend : vous verrez votre empathie, du moins cognitive, fondre comme beurre en poêle.
Quoique mâle, je crois que la joie de voir des enfants heureux, et, si possible, de contribuer à leur bonheur, est ce qui, en moi, est le plus proche de l’altruisme. Cela posé, ce livre, à travers les “expériences” (souvent peu probantes) qu’il relate (de manière assez floue), confirme surtout que l’altruisme n’est qu’une subdivision d’un égoïsme qui inclurait le narcissisme; en d’autres termes, que c’est dans l’INTÉRÊT personnel, à la rigueur familial ou groupal, que gît l’origine de la morale : ce n’est pas je ne sais quel souci instinctuel de l’autre qui nous appelle spontanément à l’aider, mais une préoccupation d’image, de “réputation”, comme disent les auteurs, susceptible de se muer en retour, mais pas nécessairement de biens et de services. L’“homme du don” donne pour recevoir, mais ce peut être sous forme de remerciement, de considération, d’allégeance [2], et, quand on le prend pour un pigeon, un fourbe ou un m’as-tu-vu, ses bonnes dispositions laissent place en un clin d’œil à leur exact contraire. (Cela dit, sur le plan global, la haine est peut-être meilleure conseillère que l’entraide : les plus abominables guerres et persécutions n’ont jamais saccagé la planète comme s’apprête à le faire l’entente ultra-libérale. En 1945, nos forêts étaient repeuplées d’animaux sauvages. Et l’on peut penser ce qu’on veut de Mao, mais si la Chine s’était “réveillée” trente ans plus tôt pour nous submerger de sa camelote, nous ne serions probablement plus là pour en parler.)
Je ne doute pas une minute que les groupes qui survivront en cas d’effondrement seront ceux qui auront pratiqué l’entraide INTRA-GROUPALE jusqu’au sacrifice de soi, mais je crains qu’elle ne doive être associée à une autodéfense vigoureuse, et je ne donne pas cher de ceux qui auront invité à leur table tous les pique-assiettes de rencontre. Le péril étant aussi à l’intérieur, du fait que l’altruisme, même passé à l’état de réflexe, reste une comédie sociale, et que l’homme, sans témoin, a tendance à S’EXCEPTER de la loi commune : je m’étonne un peu qu’entre tant d’expériences on n’en ait pas conduit une avec ressources alimentaires limitées, caméra cachée dans la cuisine, et pesage occulte avant/après : ma main au fourneau que neuf cuisiniers sur dix auraient moins maigri que les simples convives. Bien sûr qu’on ne va pas s’entretuer! L’agressivité n’est pas une pulsion primaire, elle est fille de la peur. Et, même en situation d’anthropophagie occasionnelle, il s’est trouvé des gens pour préférer mourir à manger les cadavres de leurs congénères. La plupart des humains veulent être AIMÉS, et ceux qui semblent nourrir le désir contraire, c’est qu’ils ne savent pas s’y prendre. Mais tous, sans nécessairement “s’aimer”, SE PRÉFÈRENT, et notre cortex ne s’y oppose en rien, bien loin de là : il fait simplement de nous ces gens doubles, qui, tout en piaillant contre l’égoïsme des autres, consomment et gaspillent sans compter dès qu’ils échappent à la surveillance.
Je ne sais si Servigne et Chapelle sont aussi érudits que leur impressionnante bibliographie le suggère : quelques petites choses m’ont titillé au passage, comme ce “sentiment océanique” attribué à deux reprises à Freud, sans mention de Romain Rolland; mais, fort ignare moi-même, je ne puis que faire confiance à leurs nombreuses références sous bénéfice d’inventaire interminable. Ce qui me gêne constamment, surtout dans les chapitres 3 et 4, sur les mécanismes et l’esprit du groupe, c’est ce qu’ils en font, c’est-à-dire une soupe de banalités à caractère si général que les découvertes originales s’y diluent. Leur propos est si vaste qu’ils peuvent, apparemment, tout y faire entrer, mais pour quel résultat? À quoi bonne cette métaphore de la membrane (pp. 149-153) qui finit par assimiler la cellule vivante à la communauté européenne, et n’explique en rien que la plupart des peuples qui la composent y soient fort réticents? J’enregistre avec intérêt (p. 153) que « les épidémiologistes Richard Wilkinson et Kate Pickett ont […] clairement montré que la santé d’une population ne s’améliorait pas avec la richesse globale du pays, mais plutôt avec la réduction des inégalités entre les revenus », mais moins le “résumé” qui suit immédiatement, et paraît signé, comme une grande partie du livre, par M. de La Palice : « Autrement dit, les inégalités sont corrosives pour la cohésion sociale. » C’est ce que j’appellerais faire de la mauvaise cuisine, ou, disons, une ragougnasse insipide, avec de bons produits. Idem pour les renseignements donnés sur l’ocytocine, “hormone de l’entraide”, sauf que les résultats sont controversés, et qu’on voit mal, de toute façon, quel appui ou quelle contradiction ils apporteraient à la thèse. Il me semble que les faits sont maniés avec de grosses moufles, en extériorité (le bouquin de Ricard, dont vous semblez faire une Bible, me donne la même impression), ce qui convient bien aux descriptions de comportements instinctifs, mais plus mal à ce qui, même spontané, comporte une intention.
Je m’aperçois que je rends très mal compte de mon malaise, et, puisque de toute façon j’ai déjà quantitativement abusé, je ne vois pas de meilleure manière de me faire équitablement comprendre que la copie intégrale d’un texte d’Elinor Ostrom, modifié par David Cox, intitulé “Les principes fondamentaux de la bonne gouvernance d’un bien commun” (pp. 180-181) :
« La question des limites
1A Limites des usagers. Établir des limites claires entre les usagers et les non-usagers.
1B Limites de la ressource. Établir des limites claires de la ressource et des parts que chacun peut prélever sans l’épuiser.
La question de la bonne échelle
2A. Congruence avec les conditions locales. Les règles d’usage et d’approvisionnement des ressources doivent être adaptées aux conditions écologiques et sociales locales (en termes de temps, d’espace, de technologie, etc.)
2B. Congruence entre usage et approvisionnement. Les bénéfices obtenus par les usagers doivent être proportionnés aux quantités de travail, de matériel ou d’argent que le groupe investit pour l’approvisionnement de la ressource.
3. Imbrication. Pour des ressources plus grandes, les organisations doivent rester à petite échelle et se coordonner en multiples niveaux imbriqués.
La question du sentiment d’égalité et d’équité
4. Participation. Toutes les personnes concernées par les règles mises en place par le groupe peuvent participer à la modification de ces règles.
La question du rapport à l’environnement
5A Surveillance des usagers. Les surveillants qui sont mandatés par les usagers doivent contrôler les niveaux d’usage et d’approvisionnement des usagers.
5B. Surveillance de la ressource. Les surveillants qui sont mandatés par les usagers doivent surveiller et évaluer les capacités de la ressource.
La question du sentiment de justice (et des punitions)
6. Sanctions graduelles. Les usagers qui violent des règles se voient infliger par les autres usagers, par des mandatés ou par les deux une sanction proportionnelle à la gravité de leur acte.
7. Mécanismes de résolution des conflits. Les usagers doivent avoir accès rapidement et à bas prix à des mécanismes de résolution de conflits.
La question de la sécurité (du groupe)
8. Reconnaissance du droit d’exister. Les droits des usagers d’élaborer leurs propres règles et institutions doivent être tolérés (ou au minimum ne doivent pas être remis en cause) par des autorités extérieures. »
C’est tout! Si cette enfilade de vérités premières (relisez un peu la 6, qui ne permet d’éliminer ni l’ostracisme ni la peine de mort!) m’interpelle, c’est que ces “principes” sont donnés par les auteurs pour « tout simplement géniaux, car 1) ils sont facilement compréhensibles et mémorisables. 2) ils permettent d’embrasser la complexité humaine, et 3) ils sont très flexibles : ils s’adaptent à toutes les conditions locales. Ils sont le contraire d’un programme rigide “clés en main”. » Je les trouve pour ma part si généraux et si flexibles qu’ils ne signifient plus rien de précis. On dirait une de ces conclusions de copies de Bac genre « Il faudrait que tout soit bien. » À vous de voir ce que vous en pensez, mais j’ai une tout autre idée de la STIMULATION intellectuelle que devrait impliquer le mot “génial”. Et il me semble que les règles de prise de parole imposées au groupe en pp. 174-175, si elles peuvent en effet rendre confiance et sécurité aux minus habentes, se proposent ouvertement de faire taire ceux qui ont quelque chose à dire d’utile à la collectivité, ce qui ne peut, ce me semble, que tirer le groupe vers le bas. Je suis, moi aussi, contre toutes les inégalités, dans le partage des ressources. Mais pas dans celui du travail, ni de la parole. Je m’insurgerais qu’on prétendît faire faire douze heures de jardinage par jour à Rousseau, à Mozart ou à Nietzsche. Et je refuse qu’un sot buté ait “démocratiquement” raison une fois sur x. Avoir raison, ça se mérite, non pas en braillant plus fort que les autres, mais en répondant à ce qu’ils disent de sensé. Je ne l’ai certes pas fait ici; mais je n’étais en désaccord avec aucune conclusion importante. Et l’individualisme forcené ne m’a jamais paru la vérité de l’homme, mais seulement le pis-aller des mal-aimés.

[1] Cf. les sphex qui pondent sur une proie dûment paralysée, laissant à leurs larves de la viande fraîche pour quand ils seront morts : voir Fabre, “Souvenirs entomologiques”, Bouquins t. 1, pp. 229 sqq, et les expériences diverses faites par ce patient observateur, lesquelles suffisent à nous dissuader de tout anthropomorphisme : même quand il ôte la viande, les sphex rebouchent le trou!

[2] Jésus lui-même nous le dit, en Matt, 6 : « Ce que vous faites pour devenir des justes, évitez de l’accomplir devant les hommes pour vous faire remarquer. Sinon, il n’y a pas de récompense pour vous auprès de votre Père qui est aux cieux. » Suivent les exemples de l’aumône, de la prière et du jeûne. Le plus frappant, là-dedans, c’est que les « belles actions cachées » ne portent pas en elle leur récompense : Jésus n’est pas si poire, c’est une SPÉCULATION qu’il nous recommande : « Ne vous amassez pas des richesses dans ce monde, où les vers et la rouille les détruisent, où les cambrioleurs forcent les serrures pour vous voler. Amassez-vous plutôt des richesses dans le ciel, où il n’y a di vers, ni rouille ni voleurs. » Le bon chrétien n’est guère qu’une variante de l’homo œconomicus. La “joie intrinsèque de faire le bien” n’a été remarquée (ou inventée) qu’ultérieurement.


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