Cytheriae: L'archipel des Numinées, T2 (2021)

La principauté de Cytheriae, imaginée par Charlotte Bousquet, n'a pas grand-chose à voir avec l'aimable Cythère vers laquelle les amoureux s'embarquent joyeusement. Sa capitale, Cribella, est une sorte de Venise décatie, cité posée sur des eaux troubles peuplées de créatures aussi menaçantes que visqueuses. La ville est tourmentée par des forces occultes et des amours impossibles ou contrariées qui, de proche en proche, se muent en tensions collectives. Le récit s'ouvre et s'organise autour d'une succession de morts inexpliquées, qui ressemblent à des suicides mais pourraient bien être des meurtres obéissant à un rituel magique. En apparence, rien ne relie les victimes, mais une carte d'un jeu de tarot et une boîte à musique sont retrouvées auprès de chacune d'elles, signature probable d'un unique meurtrier en série.

Qui est le coupable, qui sera le prochain sacrifié ? Charlotte Bousquet campe peu à peu les personnages de son intrigue et nous laisse dans le doute quant à leur sort futur..... C'est un petit monde d'artisans, d'artistes, de journalistes, de policiers ou de prostituées qui forment le noyau actif et attachant de son roman. Ils vivent tous dans le « sestier » de Metida, classe moyenne coincée entre les pauvres d'Hypotie et les gouvernants dégénérés de Dyctina.Pour leur malheur, aucun d'eux n'a fait sienne la devise de Charles d'Orléans : « J'ayme qui m'ayme, aultrement non ». Orseo, journaliste à la Gazette de Métida, se chamaille avec Isadora, la fille ambivalente de sa patronne. Mais surtout il se morfond devant l'indifférence que la belle Nola, écrivaine publique, manifeste à son égard. Laquelle Nola aime Angelo, un nécromant déchu de son titre de prêtre de l'Ordre de la Nouvelle Lune. La même Nola, malgré cet amour qui la comble en apparence, devient progressivement obsédée par un monstre, curiosité locale de Cribella et surtout secret de la famille régnante. Elle est entrée en possession de ses écrits intimes et tout à la fois ranime et panse à leur lecture de vieilles blessures enfouies. Pamina, fille publique, est amoureuse d'Orseo, sans espoir de retour, on sait déjà pourquoi. Tout ce petit monde se croise tantôt dans la taverne de L'ambre rouge, tenue par Rossana, artiste peintre à ses heures, tantôt dans l'office de Nola ou bien encore au siège de la Gazette. Tous se tourmentent mutuellement, en un marivaudage que le tueur en série va singulièrement bouleverser. La police, pourtant dirigée par deux femmes énergiques, Fosca et Polissenna, semble de plus en plus impuissante et c'est progressivement tout la société cythérienne qui est déstabilisée...

Cytheriae est un thriller dans l'univers de la fantasy. Charlotte Bousquet sait nous retenir dans un univers où le Mal a trouvé à s'incarner dans une créature désespérée qu'il trompe et subjugue. Sa cité prend corps peu à peu, comme ses personnages. L'auteur a pris le parti de la narratrice omnisciente. Cela nous vaut d'assister, de l'intérieur, à l'agonie terrifiée des victimes. Moins indispensable : nous nous retrouvons voyeurs d'une scène d'amour entre Nola et Angelo, bâclée comme dans un polar X. Mais c'est sans doute dans la reprise du conte de Madame d'Aulnoy, La Belle et la Bête, que ce roman trouve sa plus belle justification : le seul véritable amour n'est-il pas celui qui donne aux femmes le courage d'aller délivrer les monstres - les hommes - d'eux-mêmes, fût-ce au péril de leur vie ?


5/5